Histoire des traducteurs

De Jérôme de Stridon à C-3PO : une brève histoire des traducteurs

Il existe plusieurs hypothèses sur les évolutions biologiques qui ont abouti à l’usage de la parole chez nos ancêtres, ainsi que sur l’origine de la diversité des langues dans le monde.

Loin des théories scientifiques, l’une des légendes les plus connues sur la multiplicité des langues est évidemment celle de la Tour de Babel. Selon la Bible, elle symbolise la division de la langue unique des origines en une quantité d’idiomes divers afin de semer la discorde et d’empêcher les hommes de s’organiser collectivement pour rivaliser avec le divin.

Qu’à cela ne tienne, le besoin de communiquer et d’échanger est plus fort que tout : puisque nous ne parlons pas tous la même langue et que tout le monde n’est pas polyglotte, traducteurs et interprètes sont là pour faire le lien entre les communautés.

Comprendre pour mieux échanger

En déchiffrant la pierre de Rosette, Champollion s’est servi de la traduction grecque pour interpréter les hiéroglyphes égyptiens et encourager ainsi l’étude de toute une civilisation. Dans le film Premier Contact de Denis Villeneuve (2016), une experte en linguistique se sert de dessins pour communiquer avec des extraterrestres. Quelle que soit la forme employée, la traduction reste le meilleur moyen de bâtir des ponts entre les cultures.

Le premier intérêt de la traduction réside bien sûr dans le partage des connaissances et les échanges commerciaux.

On glorifie les grands explorateurs, en oubliant qu’en l’absence d’interprètes à leurs côtés, ils n’auraient pas ramené grand-chose de leurs voyages.

Comment exporter un produit sans expliquer son fonctionnement aux utilisateurs du marché ciblé ? C’est à cela que servent les fameux modes d’emploi que peu de gens lisent, parfois traduits maladroitement et qui peuvent pourtant sauver des vies et éviter des procès.

Comment accueillir un touriste et faire en sorte qu’il profite de son séjour s’il ne peut pas déchiffrer la carte du restaurant ? La toile regorge d’exemples plus farfelus les uns que les autres, de quoi perdre ses cinq étoiles dans les guides pour globe-trotters.

Comment organiser des équipes de scientifiques pour faire avancer rapidement la recherche sur un vaccin ? Là encore, pour accéder à un maximum de données, l’intervention du traducteur sera nécessaire.

Avec la mondialisation, les entreprises ont besoin de traductions de qualité, non seulement pour se développer à l’international, mais aussi protéger leurs produits. Le recours à la traduction s’impose pour conclure un contrat ou simplement vendre un produit à l’étranger ; mais des traductions précises peuvent aussi être requises pour déposer un brevet, prétendre à une certification, appliquer des normes, etc.

Ceux qui murmurent à l’oreille des puissants

La langue est intrinsèquement liée à la culture : c’est donc un outil politique majeur pour les gouvernements.

En l’an 383 de notre ère, lorsque le pape Damase 1er demande à Jérôme de Stridon de traduire la Bible en latin, ce n’est pas par curiosité intellectuelle, mais pour harmoniser les textes et interprétations multiples qui existaient alors. Sa traduction sera utilisée jusqu’au XXe siècle comme texte officiel de la Bible en Occident. C’est à cette œuvre que Saint Jérôme doit d’être considéré comme le patron des traducteurs.

Pour pouvoir communiquer ses intentions, même belliqueuses, il faut bien se faire comprendre par son interlocuteur. De tous temps, traducteurs et interprètes ont été les artisans de l’ombre des négociations diplomatiques. Pas un échange bilatéral sans ces présences discrètes en arrière-plan, qui se penchent à l’oreille de l’un puis de l’autre durant ce laps de temps qui précède le sourire, la poignée de main ou le froncement de sourcils. Pas une conférence internationale sans ces femmes et ces hommes enfermés dans leur cabine, qui s’efforcent de suivre les envolées lyriques d’un orateur trop enthousiaste. On l’aura compris, la confidentialité et la fiabilité sont aussi des aspects évidents de l’exercice du métier de traducteur-interprète : un malentendu peut faire basculer le destin de toute une nation.

Le mythe de la langue commune

En Europe, le latin (jusqu’au XVIIe siècle) puis le français (jusqu’au début du XXe) sont longtemps restés les langues de la diplomatie et des cours royales. La fin du XIXe siècle vit l’invention de l’espéranto, une langue neutre conçue pour être facile à apprendre, mais dont le nombre de locuteurs reste faible. Aujourd’hui, l’anglais semble difficile à détrôner, surtout dans certains secteurs comme l’informatique ou l’aéronautique. En raison du nombre et de la diversité de ses locuteurs, l’anglais reste une langue de travail pratique pour les entreprises comme pour les instances internationales. Mais il n’en demeure pas moins lié à la culture des pays dont il est la langue officielle, et peut être considéré comme un instrument de domination.

Il apparaît peu probable qu’il existe un jour une langue commune comprise et parlée par tous les peuples de la planète qui ne serait rattachée à aucune culture ni à aucun pays. Pour communiquer dans le respect des différentes cultures, il faudra toujours passer par un traducteur ou un interprète.

Le traducteur du futur

Depuis l’invention de l’ordinateur, la traduction automatique est devenue un sujet de débat passionné. Les ouvrages de science-fiction multiplient les exemples de dispositifs de traduction instantanée : depuis la machine sobrement appelée « la Traductrice » dans le roman La Nuit des Temps de Barjavel jusqu’au célèbre droïde C-3PO de Star Wars, qui affirme maîtriser plus de 6 millions de formes de communication, en passant par le Babel Fish, poisson traducteur imaginé par Douglas Adams dans son Guide du voyageur galactique que l’on insère dans le conduit auditif. Autant d’idées plus ou moins séduisantes, mais improbables.

Les systèmes de traduction mot à mot donnent des résultats peu probants, avec les risques que l’on connaît, à l’oral comme à l’écrit. Les progrès de l’intelligence artificielle semblent prometteurs, mais l’humain reste irremplaçable pour saisir pleinement le sens d’un texte complexe, capter l’intention d’un message et tenir compte des différences culturelles.

Le véritable progrès réside dans les outils de traduction assistée par ordinateur (TAO) : ces logiciels permettent de constituer des bases de données alimentées par les traductions humaines. Ils optimisent le travail du traducteur en lui permettant de gagner en efficacité tout en garantissant une homogénéité dans le vocabulaire utilisé par chaque client.

Ces systèmes ont aussi des points faibles : leur fiabilité dépend du volume et de la qualité des données qu’ils intègrent. Dans un monde idéal, le texte se présenterait dans un format électronique lisible par n’importe quel système, ne comporterait aucune faute d’orthographe, de grammaire ou de syntaxe, et serait traduit dans une combinaison de langues courante pour laquelle il existe un corpus de textes bilingues important et fiable sur Internet. Mais nous vivons dans une réalité qui démontre au quotidien que la traduction humaine a encore de beaux jours devant elle !